Bulletin TP Express - Mai 2021

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Bureau du syndic

La liberté d’expression des professionnels en temps de pandémie

En tant que professionnel, vous devez toujours garder à l’esprit l’étendue de l’impact de votre conduite au quotidien. Bien qu’il s’agisse de votre vie privée, il n’en demeure pas moins que vous pouvez faire l’objet d’une enquête par votre ordre professionnel si vos agissements ont un lien avec votre profession et sont susceptibles de porter atteinte à l’honneur et la bonne réputation de celle-ci.

Rappelez-vous que votre statut de professionnel est un privilège et que vous devez donc toujours agir avec dignité et modération. Ce sont là les pierres angulaires de votre Code de déontologie.

Ce que vous exprimez en public n’échappe pas à cette règle. En l’occurrence, vos commentaires et publications sur les réseaux sociaux ne doivent pas engendrer une violation de votre Code de déontologie.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, nous constatons l’émergence de divers débats sur les réseaux sociaux. S’agit-il d’un complot? Est-il important de porter un masque? Les mesures financières adoptées sont-elles appropriées?

Dans une décision récente , le conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA) s’est penché sur la pratique professionnelle d’un CPA relativement à ses propos tenus dans des vidéos publiées sur sa page Facebook concernant la pandémie. Dans les faits, l’intimé a publié sur plusieurs plateformes numériques des vidéos afin de commenter l’origine de la pandémie et ses effets sur l’économie. L’intimé défendait ses opinions en « épousant » plusieurs théories de complot et de manipulation.

De plus, alors qu’une enquête disciplinaire avait été entamée par la syndique, l’intimé a saisi l’occasion de le mentionner dans ses publications tout en formulant des commentaires très critiques envers son Ordre et la syndique, lesquels ont été énumérés dans le cadre de l’analyse par le conseil de discipline .

Selon la partie plaignante, l’intimé aurait omis d’agir avec dignité et d’éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession en tenant ces propos, en ce qu’ils manquaient de rigueur, de modération, d’objectivité et de professionnalisme.

Pour sa défense, l’intimé a invoqué son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par les chartes. D’ailleurs, dans son analyse de la preuve et du contenu des vidéos publiées par l’intimé, le conseil de discipline relève les propos de celui-ci expliquant qu’il est « libre-penseur » qu’il ne veut pas « se faire dire quoi dire » par son Ordre.
Le conseil de discipline a rappelé que le droit disciplinaire est un droit sui generis et que la présente affaire requérait l’étude spécifique du Code de déontologie des comptables professionnels agréés « où les devoirs et les normes s’inscrivent dans l’objectif de la protection du public et visent à maintenir un ‘’standard professionnel de haute qualité’’. »

Le conseil a également affirmé que :

« [254]  (…) le fondement de la responsabilité disciplinaire d’un professionnel réside dans les actes qu’il pose à ce titre comme pouvant être perçus par le public [16].[255]  Pour constituer une faute déontologique, la faute commise par un professionnel doit être liée à l’exercice de sa profession. Cependant, il peut même arriver que cette faute inclue [sic] des actes de sa vie privée dans la mesure où ceux-ci sont suffisamment liés à l’exercice de sa profession et causent un scandale portant atteinte à la dignité de la profession. » (Nos soulignements)

Le conseil a procédé alors à une analyse par la mise en balance proportionnée des objectifs législatifs et réglementaires poursuivis par l’Ordre, d’une part, et de la libertéd’expression dont jouit l’intimé, d’autre part.

Il a par conséquent établi qu’un professionnel ne peut utiliser les réseaux sociaux pour exprimer sa pensée sans aucune modération, sous le couvert du droit à la liberté. Il ne doit pas « dépasser les bornes » et entacher l’honneur et la dignité de la profession.
En conclusion, il importe d’adopter une conduite adéquate qui vous permettra de rayonner dans votre milieu. Grâce à cette vigilance accrue, vous serez en mesure de veiller à renforcer la confiance du public envers votre profession.  

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Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon, 2020 QCCDCPA 40, http://canlii.ca/t/jbp5l

Supra, note 1, par. 18.

Supra, note 1, par. 71 et suivants.

Supra, note 1, par. 253.

Supra, note 1, par. 254-255