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BULLETIN TP EXPRESS - Septembre 2012



La pénible traversée des saumons sous les routes du Québec
par Benoît Lacroix, journaliste

Les routes constituent souvent des barrières infranchissables pour les poissons qui voyagent entre leurs lieux de reproduction, d’alimentation, de même que leurs refuges contre les prédateurs et les intempéries. Premiers touchés : les saumons et les truites, espèces emblématiques de nos cours d’eau. En étudiant la capacité de ces poissons à traverser différents types de ponceaux, Normand Bergeron, spécialiste de la dynamique des rivières et de l’habitat des poissons au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS, et son équipe produisent des modèles qui aident les ingénieurs à concevoir des infrastructures mieux adaptées aux écosystèmes.

Le Québec regorge de ruisseaux et de rivières. Dans un monde idéal, il y aurait des ponts à chaque croisement entre une route et un cours d’eau. La vie des poissons n’en serait que très peu perturbée. Mais la réalité est différente : les ponts sont chers et complexes à construire. Les ponceaux, eux, constituent une solution économique et pratique. « Il faut voir à quelle vitesse le ponceau est installé quand on construit un chemin forestier, raconte Normand Bergeron. On dépose le tuyau de tôle ondulée ou de béton, on remblaie par-dessus et c’est terminé. »

Or, le concept n’est pas parfait. Les ponceaux sont souvent moins larges que le cours d’eau original, en plus de posséder un fond moins rugueux. Ces deux facteurs font augmenter la vitesse de l’eau dans le ponceau. Du point de vue de l’ingénieur qui doit éviter le refoulement de l’eau tout en minimisant le prix de l'infrastructure, c’est parfait. Mais les poissons, eux, ne l’entendent pas ainsi.

Comment améliorer le modèle du ponceau? « La solution idéale consiste à concevoir des ponceaux plus larges, en forme d’arche, et à conserver le lit original du cours d’eau, explique Normand Bergeron. Il existe aussi des ponceaux au fond desquels on installe de petits déflecteurs qui permettent aux poissons de se reposer à l’abri du courant et de franchir le ponceau par étapes. » Mais comme ça freine l’écoulement, ce n’est pas la solution prisée par les ingénieurs, qui compensent en faisant des ponceaux plus larges, surtout pour éviter les problèmes de débordement lors des périodes de crues. Il reste donc encore de la place pour la créativité.

Le chercheur et son étudiante au doctorat Elsa Goerig ont mesuré la capacité des poissons à franchir un ponceau sur le ruisseau Tardif, à Ste-Agathe-de-Lotbinière, dans la région Chaudière-Appalaches. Ensemble, ils ont observé les truites mouchetées qui franchissaient l’infrastructure, comptant le nombre d’échecs et de réussites. « Les travaux sur le terrain sont presque terminés, explique Normand Bergeron, et nos résultats nous permettent d’affirmer que les modèles ne sont pas adaptés à la réalité des poissons », qui réussissent notamment à passer là où les modèles prédisent le contraire.

Logiciels à la rescousse
Un des grands défis des chercheurs est donc de fabriquer un modèle capable de prédire si un ponceau va permettre ou non de laisser passer les poissons. C’est important pour faciliter le travail de  conception des ingénieurs. Au Québec, on commence à peine à utiliser un outil d’ingénierie très utile pour la conception des ponceaux, le logiciel FishXing. Celui-ci calcule, pour un ponceau d’une certaine forme, longueur, diamètre et rugosité et dans lequel circule un débit d’eau donné, la vitesse d’écoulement de l’eau. Ensuite, à partir des « capacités de nage » inscrites dans la base de données du système, il peut déterminer si une certaine espèce de poisson arrivera ou non à traverser. « Le problème, c’est que les données ont été déterminées en laboratoire et non sur le terrain », explique Normand Bergeron. Et selon les résultats qu’il vient d’obtenir en rivière avec Elsa Goerig, il constate que le logiciel sous-estime les capacités réelles des poissons dans les conditions naturelles. Il faut donc corriger le modèle à la lumière de ces nouveaux résultats.

C’est grâce à de petites puces électroniques servant de radio-étiquettes que les chercheurs peuvent suivre les poissons dans leurs déplacements. Après avoir capturé des poissons de tailles et d’âges différents, ils les identifient en insérant cette puce à l’intérieur de leur corps. Une petite incision suffit pour introduire le dispositif, dont la longueur est presque identique à celle d’un 25 sous de la monnaie canadienne.

Après une courte période de récupération dans un vivier de la rivière, les poissons sont remis à l’eau au pied d’un ponceau. On peut ensuite mesurer leurs tentatives de passage en disposant plusieurs antennes de l’entrée à la sortie du ponceau. Comme chaque radio-étiquette est unique, on peut savoir exactement quel poisson réussit à traverser ou, s’il a été moins chanceux, jusqu’où il peut se rendre avant d’être emporté par le courant. En fonction de l’espèce, de son stade de développement et de sa taille, la capacité de nage varie considérablement. « Et tout comme pour les humains, remarque Normand Bergeron, la personnalité des poissons joue un rôle dans leur comportement face à un obstacle. Certains sont plus agressifs, d’autres plus curieux ou grégaires, alors que certains sont tout simplement pépères ! »

Chaleur et sécheresse, un frein supplémentaire
Des étés comme celui de 2012, chauds et secs, sont difficiles pour les salmonidés comme la truite et le saumon. Ces conditions météorologiques aggravent le problème des ponceaux puisque le niveau d’eau y est plus bas, rendant la traversée des poissons quasi impossible. Cet été, Elsa Goerig a remarqué que des centaines de truites attendaient parfois au pied d’un ponceau que le niveau de l’eau remonte suffisamment.

Par ailleurs, comme le précise Normand Bergeron, les salmonidés, très sensibles aux variations de température de l’eau, ont besoin de fraîcheur pour survivre. Pendant les canicules, la température de l’eau augmente et ils doivent se réfugier au frais, souvent dans les petits tributaires des rivières, des ruisseaux protégés du soleil par le couvert des arbres. Malheureusement, ces derniers sont fréquemment rendus inaccessibles par des ponceaux infranchissables. Cela peut nuire sérieusement à l’alimentation et à la survie des poissons, car ces abris sont aussi riches en nourriture, étant surplombés par la canopée, qui les approvisionne constamment en insectes et en matière organique.

Liberté pour les rivières
Éviter de reproduire dans le Nord les erreurs faites dans le Sud : c’est là le souhait de Normand Bergeron pour l’avenir des salmonidés québécois. Les rivières se déplacent avec le temps. Elles évoluent et ont besoin d’un « espace de liberté » pour ce faire. « Lorsqu’une rivière se déplace, dit-il, ça crée une plus grande diversité d’habitats pour les poissons, et on sait que c’est nécessaire à la bonne santé des écosystèmes. »

Les routes et les habitations, souvent construites très proches des rivières, empêchent normalement ces dernières de bouger de leur lit. Néanmoins, lorsqu’un mouvement est découvert, l’enrochement est essentiel pour éviter que les infrastructures ne soient emportées. « Si on construisait les routes plus loin des habitations, ça coûterait sûrement plus cher au départ, sauf que l’on sauverait ensuite sur l’enrochement, qui s’avère extrêmement coûteux, en plus de ne pas être une solution efficace à long terme puisque la rivière va s’éroder plus loin », soutient le spécialiste.

Avec le développement anticipé du Nord, les réflexions de Normand Bergeron révèlent, entre autres, que les plus gros obstacles que doivent abattre les saumons ne sont peut-être pas les barrages et les ponceaux, mais bien la résistance au changement, qui incite à répéter les erreurs du passé.

Merci à l'INRS pour cet article:
http://www.planete.inrs.ca/webzine/la-penible-traversee-des-saumons-sous-les-routes-du-quebec

© Institut national de la recherche scientifique, 2012 / Tous droits réservés / Photos © Marc Robitaille

 

 

 

 


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